Résumé
En République Démocratique du Congo, la loi n°14/011 du 17 juin 2014 relative au secteur de l’électricité a « mis fin au monopole de la Société Nationale de l’électricité (SNEL) dans l’exploitation de l’électricité »[1]. La loi prône la libéralisation du secteur et l’ouverture totale du marché congolais de l’électricité au secteur privé. Tenant compte des impacts d’un marché d’électricité ouvert à la concurrence des entreprises privées quant à la fixation des tarifs, la loi a prévu un encadrement juridique sur les tarifs de l’électricité qui obéissent aux principes de vérité de prix, d’égalité, d’équité et de non-transférabilité. En outre, elle prévoit les procédures de fixation et de révision des tarifs, les règles de tarification de l’électricité au consommateur final, les tarifs d’accès aux réseaux de transport et de distribution ainsi que les tarifs producteurs. En dépit de l’encadrement juridique, les tarifs de l’électricité soulèvent des enjeux importants dans le marché congolais du secteur d'électricité qui méritent d’être analysé dans une approche holistique dans cet article.
Mots clés : Loi sur l’électricité, tarifs de l’électricité, enjeux, révision de tarifs, combustibles fossiles, kilowattheure, modèle mathématique, délai, autorité de régulation, secteur, opérateur.
L’encadrement juridique des tarifs de l’électricité en RDC est caractérisé par le cadre législatif et règlementaire.
I.1 Cadre législatif
La loi n° 14/011 du 17 juin 2014 relative au secteur de l’électricité constitue un texte législatif de référence qui consacre des dispositions sur les tarifs de l’électricité.
Le mérite de cette loi est de fixer les principes de vérité des prix, d’égalité, d’équité, et de non-transférabilité des charges[2]. Elle fixe également les règles de fixation des tarifs de l’électricité au consommateur final, des tarifs d’accès aux réseaux de transport et de distribution ainsi que des tarifs producteurs.[3]
Par ailleurs, la loi impose à l’opérateur l’obligation de soumettre les nouveaux tarifs de l’électricité à un contrôle de l’autorité tarifaire.
Au-delà de la loi n°14/011, « les dispositions du décret-loi relatif aux prix »[4] s’appliquent aux tarifs de l’électricité. Il est stipulé dans ledit décret-loi que, les prix de vente des produits et services sont librement fixés par ceux qui en font l’offre. Ils ne sont pas soumis à l’homologation préalable mais doivent après qu’ils aient été fixés, être communiqués avec tous le dossier y afférent au commissaire d’État ayant l’économie dans ses attributions pour un contrôle a posteriori.[5]
I.2 Cadre règlementaire
Le texte règlementaire pivot de tarifs de l’électricité est l’arrêté interministériel n°009/CAB/MIN-ECONOMAT/2018 et 013/CAB/MIN-ENRH/2018 du 15 mars 2018 portant détermination des règles, des procédures et des modalités de fixation et de révision des tarifs d’achat de l’électricité aux producteurs d’électricité, des tarifs d’accès aux réseaux de transport et de distribution de l’électricité ainsi que des tarifs de vente de l’électricité au consommateur final. Ledit arrêté interministériel tire sa base légale dans la loi n° 14/011[6].
En substance, l’arrêté interministériel n°009/CAB/MIN détermine les éléments dont l’opérateur doit tenir compte dans la fixation de tarifs de vente de l’électricité et d’utilisation des réseaux publics.
Il existe aussi l’annexe de l’arrêté n°081/CAB/MIN/ENRH/18 du 27 décembre 2018 portant cahier des charges général des activités du secteur de l’électricité qui consacre les dispositions sur les tarifs de l’électricité.
A la lumière des dispositions des articles 12, 13, 14, 15, 16, 19 et 22 de l’arrêté interministériel n°009/CAB/MIN-ECONOMAT/2018, les tarifs de l’électricité sont principalement appliqués aux services des producteurs de l’électricité, d’accès aux réseaux de transport et de distribution de l’énergie électrique, aux importateurs de l’énergie électrique. En outre, les tarifs s’appliquent aux revendeurs de l’énergie électrique, aux consommateurs finaux, à l’électrification rurale et au transit de l’énergie électrique.
L’article 25 de loi n°14/011 pose un fondement légal sur la fixation et révision des tarifs de l’électricité. Toutefois, l’arrêté interministériel n°009/CAB/MIN-ECONOMAT/2018 fournit en détails les règles, les modalités et les procédures de fixation et révision des tarifs.
L’opérateur doit soumettre la proposition tarifaire de vente de l’électricité et d’accès aux réseaux à l'Autorité de Régulation du secteur de l'Électricité, ARE[7]. Il fixe un tarif correspondant à l’exercice de son activité, pour autant qu’il soit autorisé et qu’il corresponde à un service sur le périmètre de l’activité.[8] La proposition tarifaire de l'opérateur est soumise sous un modèle mathématique de calcul qui tient compte notamment des éléments des prix de revient du kWh, des coûts de commercialisation de l’énergie et des charges des services. Les équations mathématiques de calcul des tarifs, dits « modèles tarifaires », leurs éléments chiffrés et les prix qui en découlent pour les différents tarifs que l’opérateur est autorisé à pratiquer à compter de la date d’entrée en vigueur de la concession et la licence sont préalablement présentés à l’ARE.[9]
L’ARE est tenu d’analyser et de donner un avis sur la proposition tarifaire soumise dans un délai de 15 jours. A défaut d’un avis de l’ARE et à l’expiration du délai de 15 jours, les tarifs proposés sont soumis au ministre de l’Économie et à celui de l’Électricité pour décision. Ces derniers ont un délai de 30 jours pour la validation de la proposition tarifaire soumise par l'opérateur. La décision de validation des tarifs accordé à l’opérateur se fait par voie d’arrêté interministériel qui est publié au journal officiel.
Pour l’intérêt général, l’État peut imposer à un opérateur des conditions tarifaires non prévues par le contrat de concession conduisant l’opérateur à vendre l’électricité à un prix inférieur à ses coûts d’exploitation y compris les charges financières. Dans ce cas, l’État prend en contrepartie les mesures nécessaires pour l’équilibre financier du contrat, notamment en accordant les subventions.[10]
La révision des tarifs de l’électricité ne peut s’effectuer qu’aux tarifs appliqués aux consommateurs finaux, d’accès aux réseaux de transport et distribution ainsi que des producteurs, qu’en cas de changement important des conditions d’exploitation ou en raison d’évènements modifiant de façon substantielle l’environnement économique ou technique dans lequel les contrats de concession, les licences ou autorisations ont été établis.[11]
L’initiative de révision des tarifs peut provenir de l’opérateur, de l’ARE ou des autorités compétentes.[12] Par ailleurs, les consommateurs, peuvent au même titre que les autorités compétentes et l’opérateur demander la révision des tarifs de base maxima.[13]
Dans le cas de changement important des conditions d’exploitation, ou en raison d’évènements substantiellement les paramètres économiques ayant servi à la détermination des tarifs de vente de l’électricité, l’opérateur peut solliciter l’ARE en vue de la révision des tarifs.[14]
La question des tarifs de l’électricité soulève des enjeux juridiques et économiques dans le marché congolais de l’électricité.
Le premier enjeu juridique qui se pose avec acuité dans le marché de l’électricité est la « soumission de proposition tarifaire à l'ARE sur les concessions régulièrement concédées par l’État avant l’entrée en vigueur de la loi n° 14/011 relative au secteur de l’électricité ».
L’histoire révèle que certains contrats de concession ont été signés entre l’autorité compétente et les opérateurs avant l’entrée en vigueur de la loi no 14/011 d’une part, et l’opérationnalisation de l’ARE d’autre part. Dès lors que la loi susmentionnée est entrée en vigueur et l’ARE devenue opérationnelle[15], le décret n°18/052 du 24 décembre 2018 fixant les modalités de sélection des opérateurs, d'attribution, de modification et d'annulation des concessions, des licences et des autorisations dans le secteur de l'électricité qualifie ces contrats de 'titres inappropriés'. L'ARE quant à elle exige aux concessionnaires des titres inappropriés de commencer par lui soumettre les dossiers pour la régularisation de leurs titres avant toute soumission de propositions des tarifs.
Face à cette situation, la loi no 14/011 prévoit : « que tout détenteur d’un ou plusieurs titres acquis avant l’entrée en vigueur de la loi susmentionnée, devenus inappropriés, est tenu de faire convertir chaque titre en permis ».[16] Par ailleurs, elle demande à l’administration en charge de l’électricité de s’assurer de la conformité de ces titres. Aux regards de la loi, la procédure de conversion des titres en permis, oblige les détenteurs des titres acquis, de soumettre leur dossier à l’ARE pour régularisation avant de soumettre les propositions tarifaires.
Un autre enjeu juridique de grande envergure est « le droit réservé à l’autorité compétente d’apporter la modification unilatérale au contrat de concession, et dont la portée peut emporter sur les tarifs ». Dans le cadre de contrat de concession, l’autorité compétente se réserve le droit d'imposer au concessionnaire des modifications unilatérales conformément à la loi. Cependant, le concessionnaire a droit à une compensation financière dans l’optique où les modifications unilatérales entraînent des coûts importants et la diminution des bénéfices des activités du concessionnaire. La compensation financière peut revêtir la forme d’une augmentation des tarifs ou toute autre forme.[17]
En tout état de cause, le concessionnaire trouve l’augmentation des tarifs comme un remède plausible à une modification unilatérale susceptible de compenser aux pertes et coûts subis. Dans la mesure où l'autorité compétente, procède à une modification unilatérale préjudiciable, le concessionnaire doit suivre la procédure de révision des tarifs pour obtenir la réparation.
Quant aux enjeux économiques, il sied de noter que l’inflation de prix des carburants est un enjeu économique qui a un impact sur les tarifs de l’électricité. La « guerre en Ukraine a également contribué d'une certaine manière, à l’augmentation du prix du carburant à la pompe ».[18] Dans la plupart de zones des concessions, l’électricité est fournie aux consommateurs à base des centrales thermiques qui fonctionnent avec les carburants. Face à l’inflation du prix du carburant qui impacte aussi les tarifs de l’électricité, le concessionnaire peut-il se réserver le droit de modification unilatérale des tarifs en tenant compte des coûts de répercussion sur les carburants en tant qu’élément de calcul des tarifs ? En réponse à cette question, il est pertinent de mentionner que l’inflation du prix du carburants ne peut être considérée comme un cas isolé qui donne au concessionnaire le droit d'effectuer unilatéralement les modifications tarifaires sans solliciter l'approbation de l’autorité compétente. La question du carburant est un cas explicitement réglementé par l'arrêté interministériel n°009/CAB/MIN déterminant les règles, procédures et modalités de fixation et de révision des tarifs [...], qui aborde la question des prix des combustibles fossiles et les raisons des événements, essentiellement les paramètres économiques qui résolvent la question de la répercussion des coûts des combustibles. Toutefois, les clauses de contrat de concession stipulent que le concessionnaire peut proposer à l’autorité compétente toute modification qu’il juge utile.
Références
[1] AMBASSADE DE FRANCE EN RD CONGO, « Le secteur de l’électricité en République Démocratique du Congo, Kinshasa le 18 novembre, [en ligne] », disponible sur : [https://www.tresor.economie.gouv.fr/PagesInternationales/Pages/13971f9d-3178-4715-bd09-5240a52d532b/files/176f8950-cd3c-481f-bc94-d18578236305] (consulté le 4/11/2022).
[2] Article 23, loi n° 14/011 du 17 juin 2014 relative au secteur de l’électricité, in Recueil des textes du secteur de l’électricité, JORDC, n° spécial, 20 octobre 2020, p.20.
[3] Article 24, loi n° 14/011, préc.
[4]Tarification SNEL (s.d.). Repéré́ à [https://rise.esmap.org/data/files/library/congo,-dem.-rep./Cross%20Cutting/CC%2023_Tariff%20schedule%20for%20DRC.pdf] (consulté le 04/11/2022).
[5] Article 2, décret-loi du 20 mars 1961 relatif aux prix, tel que modifié et complété par l’Ordonnance-loi n° 83-26 du 12 septembre 1983.
[6] Article 24 de la loi n°14/011, préc.
[7] Articles 25 de la loi n°14/011 et 35 arrêté interministériel n°009/CAB/MIN-ECONOMAT/2018 du 15 mars, préc.
[8] Article 298, annexe à l’arrêté n°081/CAB/MIN/ENRH/18 du 27 décembre 2018 portant cahier des charges général des activités du secteur de l’électricité consacre des dispositions sur les tarifs de l’électricité, in Recueil des textes du secteur de l’électricité, JORDC, n° spécial, 20 octobre 2020, p.318.
[9] Article 302, annexe à l’arrêté n° 081/CAB/MIN/ENRH/18 du 27 décembre 2018, préc.
[10] Articles 15, loi no 14/011 et 10, arrêté interministériel n°009/CAB/MIN-ECONOMAT/2018 du 15 mars, préc.
[11] Articles 26, loi no 14/011 et 37 arrêté interministériel n°009/CAB/MIN-ECONOMAT/2018 du 15 mars, préc.
[12] Article 37 alinéa 3, arrêté interministériel n°009/CAB/MIN-ECONOMAT/2018 du 15 mars, préc.
[13] Article 306, arrêté interministériel n°009/CAB/MIN-ECONOMAT/2018 du 15 mars, préc.
[14] Article 41, arrêté interministériel n°009/CAB/MIN-ECONOMAT/2018 du 15 mars, préc.
[15] Ordonnance n° 20/120 du 17 juillet 2020 portant nomination des membres du conseil d’administration et de la direction générale d’un établissement dénommé « Autorité de Régulation du secteur de l’électricité ».
[16] Article 3, décret n°18/052 du 24 décembre 2018 fixant les modalités de sélection des opérateurs, d’attribution, de modification et d’annulation des concessions, des licences et des autorisations dans le secteur de l’électricité, in Recueil des textes du secteur de l’électricité, JORDC, n° spécial, 20 octobre 2020, p.92.
[17] Article 36, point 1, annexe I contrat de concession n°/MIN/ENRH/CC/PROD/2018/de production, transport et distribution à l’arrêté no 85/CAB/MIN/ENRH/18 du 27 décembre 2018 portant contrats-types de concession et de délégation, models de licences et d’autorisations du secteur de l’électricité, [en ligne] », disponible sur : https://are.gouv.cd/documentation/arretes/], (consulté le 13/11/2022).
[18] FOND MONETAIRE INTERNATIONAL, Communiqué de presse n° 22/154 du 09 mai 2022, « Les services du FMI achèvent leur mission de revue du programme et de la consultation au titre de l’Article IV avec la République Démocratique du Congo ». [en ligne] », disponible sur : https://www.imf.org/fr/News/Articles/2022/05/09/pr22144-imf-staff-completes-2022-article-iv-program-review-mission-to-democratic-republic-of-congo], (consulté le 13/11/2022).